
Aïôn = “étant toujours” évoque un infini vivant, pulsant, créateur – pas une simple extension sans fin, mais une profondeur temporelle où chaque instant contient l’éternité. C’est l’infini comme puissance génératrice plutôt que grandeur abstraite.
Ce concept grec ancien, désigne le temps éternel, cyclique et qualitatif – par opposition au temps chronologique linéaire.
L’Aïôn évoque cette temporalité où passé, présent et futur coexistent, où les moments s’interpénètrent plutôt que de se succéder. Les couleurs qui se fondent et se transforment les unes dans les autres, ces mouvements fluides qui semblent à la fois émergents et éternels, traduisent cette notion de temps suspendu, de durée pure.
Il y a aussi dans l’Aïôn une dimension cosmique, cette idée d’un temps créateur où les formes naissent et renaissent perpétuellement. La gestuelle libre et ces empâtements qui créent leurs propres rythmes évoquent justement ces forces créatrices à l’œuvre dans le temps éternel.
Le titre apporte une dimension philosophique qui élève l’œuvre au-delà de la pure abstraction coloriste pour en faire une méditation sur le temps et l’être. C’est un choix qui honore à la fois la sophistication de l’approche picturale et la profondeur conceptuelle de la démarche artistique.
Cette référence antique dialogue aussi bien avec la modernité de la technique qu’avec l’intemporalité que dégage l’œuvre.
Technique et matériaux :
Cette méditation philosophique prend corps à travers une alchimie matérielle particulière. Marine Bonzom puise dans un véritable trésor de pigments naturels italiens : le jaune de Naples, aux reflets caractéristiques, dialogue avec des ocres authentiques aux tons chauds et terreux. Les bleus profonds, issus de lapis-lazuli ou d’outremer naturel, sont travaillés en glacis translucides qui permettent aux couches inférieures de vibrer par transparence, créant ces échappées célestes lumineuses qui traversent la composition.
L’originalité réside dans l’incorporation directe de minéraux broyés – jaspe rouge, unakite, calcite, cornaline orangée et agate rosée – qui apportent une granularité et une vibration chromatique unique à l’œuvre. Cette géographie minérale s’enrichit subtilement d’échos lointains, comme si les déserts d’Arizona avaient murmuré leurs secrets colorés aux terres italiennes. Ces pigments millénaires, extraits de la terre italienne et des roches locales, portent en eux la mémoire géologique du temps long. Chaque particule de matière picturale devient métaphore de l’éternité, du temps cyclique où se rejoignent l’infiniment petit du minéral et l’infiniment grand du cosmos, révélant ces strates temporelles superposées où la matière brute transcende sa condition pour devenir lumière et mouvement éternel.